Disparition de mon arrière-grand-père Georges Alexandre Carluy (suite et fin)
La Gazette de l'Oise


Mercredi 11 Juillet 1934

L'enquête se poursuit sur les circonstances de l'accident qui a coûté la vie à Georges Carluy, bûcheron à Senlis.

Le chauffeur Polonais Brzostowicz au service de l'entreprise Devinoy-Compègne de Vaudherland est toujours en prison et M. Marquiset, juge d'instruction du parquet de Senlis auquel a été confiée l'affaire l'entendra prochainement dans son cabinet.

On sait que c'est grâce à la Gazette de l'Oise que le chauffard a été découvert…"Je lui ai fait part de l'incident sans pouvoir lui préciser où et comment la casse s'était produite. J'ai fait vaguement allusion à l'accrochage d'une branche quelconque, jamais il ne m'est venu à l'esprit que j'avais écrasé un cycliste sur la route de Senlis.

Si le chauffard maintient cette thèse là, il est probable que le délit de fuite ne pourra être retenu contre lui. Mais il reste le délit d'homicide par imprudence qui en la circonstance revêtira un caractère de gravité susceptible d'entraîner pour le chauffard une condamnation à plusieurs mois de prison.

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Samedi 14 Juillet 1934

L'écraseur en correctionnelle

Nous croyons savoir que le chauffeur Polonais de Vaudherland qui écrasa le malheureux Carluy sur la route de Creil comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Senlis à l'audience de vendredi prochain. Il sera assisté de M. Chastaing, avocat à Senlis qui représente en même temps M. Gabriel Compiègne la patron civilement responsable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Mardi 24 Juillet 1934

Un chauffard meurtrier devant ses juges. Endormi à son volant il avait écrasé un cycliste. Il s’en tire avec une très légère condamnation

Le chauffeur Brzostowicz au service de l'entreprise Devinoy-Compiègne de Vaudherland a comparu vendredi devant le tribunal correctionnel de Senlis sous l’inculpation de délit de fuite et d’homicide par imprudence.

 Le 30 juin, vers 6 heures du matin, Georges Carluy est trouvé écrasé sur la route de Creil, complètement sur le côté droit d’un talus, sens de sa marche, sa bicyclette sur lui. Le cadavre est horriblement mutilé. Des morceaux de verre provenant d’un véhicule sont trouvés sur les lieux et jusque sur le cours du Montauban, ce qui permet d’établir que le cycliste a été fauché par une auto ou un camion, venu de la direction de Creil et parti vers Pontarmé. En outre l’enquête de gendarmerie établit formellement que le véhicule roulait complètement à gauche dans le " gué de Creil ". Le malheureux Carluy venant en sens inverse on ne peut plus à droite, a dû voir venir la mort sur lui.

C’est tout à fait par hasard que le chauffeur fut découvert. Quelques jours plus tard, M. Gabriel Compiègne, entrepreneur de transports de bestiaux à Vaudherland (Seine-et-Oise), lut sur notre journal le récit de l’accident. En apprenant qu’un phare gauche du véhicule avait certainement été brisé dans le choc, il se souvint qu’un de ses camions était rentré accidenté après être passé sur la route de Creil.

Immédiatement le patron prévint la gendarmerie (qui était d’ailleurs sur la bonne piste depuis la veille) et le Polonais Brzostowicz fut arrêté.

 

   Il dormait sur son siège !

Le chauffeur de M. Compiègne ne fît aucune difficulté pour reconnaître les faits qu’on lui reprochait. Avec un camion chargé de bestiaux il avait quitté Mouy, vers une heure du matin, puis s’était arrêté en haut de la côte, après la traversée de Creil, pour dormir un peu.

Comme il était au travail depuis 7 heures du matin on conviendra qu’il n’avait pas volé un brin de repos le lendemain à 3 heures…Brzostowicz repart. Il traverse le passage à niveau qui se trouve à l’entrée de Senlis puis arrive au lieu-dit " le gué de Creil ", à un endroit où la route forme une cuvette. Il n’est pas encore 4 heures du matin. Le jour commence à peine à se lever. Le chauffeur a déclaré lors de la reconstitution de l’accident qu’il avait aperçu, à cent mètres, un cycliste qui venait dans sa direction.

C’était Georges Carluy qui descendait la côte et se rendait travailler dans l’une de ses coupes de bois, en forêt d’Aumont.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Polonais l’a bien vu, mais ce n’est pas pour cela qu’il prend ses précautions. A moitié réveillé, il ne se soucie guère du cycliste qu’il va croiser. Il s’endort à nouveau. Un choc à gauche le fait sursauter. Il vient d’écraser Carluy. Il ne s’en est pas aperçu ou du moins c’est sa thèse. Il redresse et continue sa route.

   Les débats

Depuis Brzostowicz n’a pas varié dans ses déclarations. Il ne s’est pas rappelé le croisement avec le cycliste qu’il avait aperçu un instant avant.

Son phare cassé à l’arrivée ? C’est peut-être un choc avec une branche d’arbre quelconque qui a brisé le verre dit-il au patron. - M. Compiègne, civilement responsable est entendu également comme témoin. C’est une bonne occasion pour M. Mellotée, substitut du procureur de la République, de lui dire quelques vérités, à savoir qu’il mérite d’être poursuivi pour infraction à la loi de 8 heures.

Le chef de gendarmerie Scory qui mena l’enquête avec la sagacité qu’on lui connaît et auquel serait revenu l’honneur de découvrir le coupable rapidement si la gendarmerie de Gonesse avait suivi ses instructions, dépose à la barre et développe les constatations qu’il a faites. M. Warustel est partie civile pour Madame Veuve Carluy et ses quatre enfants. La victime n’a pu éviter l’accident. Elle a du voir venir sur elle le camion tamponneur mais le talus qui borde la route l’empêcha d’aller plus à droite. L’avocat senlisien réclame la somme de 200 000 francs de dommages intérêts.Le réquisitoire du ministère public est aussi sévère pour le chauffeur que pour son patron. M. Mellotée a peine à croire que Brzostowicz ne s’est pas rendu compte de l’accident. Il demande une condamnation sévère pour que dans une région particulièrement fréquentée par des véhicules poids lourds, on sache bien ce qu’il en coûte de s’endormir à son volant.

M. Chastaing présente la défense de l’inculpé. Le seul but de ses efforts consiste à l’exonérer du délit de fuite qui lui est reproché.

Le tribunal l’ayant rassuré d’un signe à ce sujet, le défenseur plaide maintenant la bienveillante indulgence des juges. Au travail depuis la veille, à 7 heures du matin, Brzostowicz a vu ses forces l’abandonner sur sa route, en revenant avec son camion. C’est un bon ouvrier sur lequel les meilleurs renseignements sont fournis. Le tribunal a prononcé un jugement qui condamne le chauffeur à six jours de prison avec sursis et à 200 francs d’amende.

Madame Veuve Carluy touchera 100 000 francs et ses enfants âgés de 15 ans, 13 ans, 12 ans et 10 ans recevront chacun une somme de 15 000 francs constitués d’une rente sur l’Etat. Pour ceux de nos lecteurs qui trouveront que Brzostowicz s’en tire à bon compte ajoutons qu’il a fait une quinzaine de jours de prison préventive.